Ecologie ichthyologique des fonds chalutables atlantiques (de la baie ibéro-marocaine à la Mauritanie) et de la Méditerranée occidentale
En 1953 EKMAN s'étonnait que la Méditerranée, vieux berceau de la civilisation et champ de travail d'ARISTOTE, fût loin d'être une des mers les plus connues d'Europe. Cette remarque a d'ailleurs pu être étendue, avec juste raison, aux côtes atlantiques du sud de la péninsule ibérique et au nord-ouest africain. Quelques années plus tard, à l'époque où débutèrent les observations relatées ici, la connaissance de la zone côtière avait fait de très rapides progrès. Mais il n'en était pas de même pour le talus du plateau continental et à plus forte raison pour les profondeurs abyssales : rares étaient les documents traitant des fonds situés au-delà de 200 m et de la faune qui les peuple. Il est vrai que de nombreux navires océanographiques avaient prospecté ces régions dès la seconde partie du xixu siècle mais ils ne les avaient guère explorées qu'en passant. Leur principale zone de recherche était plus étendue et plus éloignée des côtes européennes. Dressons un rapide bilan de leur activité. En 1878 le « Challenger » procède à quelques opérations océanographiques dans la région canarienne. Des recherches faunistiques sont menées à bien par le «Travailleur» au large du Maroc et des Canaries en 1882 et par le «Talisman» de Gibraltar au cap Vert en 1883. La même année le navire britannique « Dacia » effectue une série de sondages près des Canaries. Viennent ensuite les missions de la goélette « Melita » au Sénégal et aux Canaries de 1889 à 1890 et celles de la « Chazalie » le long des côtes de Mauritanie en 1895. Entre 1898 et 1899, pendant son périple autour du monde, le « Valdivia » ne néglige pas les côtes africaines mais ne s'y arrête que peu de temps. De précieuses récoltes sont faites au Maroc, aux Canaries et à Madère par les navires du prince Albert de Monaco : « Princesse Alice I », « Princesse Alice I I » et «Hirondelle II», de 1899 à 1912. En 1909 le chalutier hollandais «Hollande V I I» portant à son bord la mission VERMEULEN entreprend une série de pêches expérimentales qui le mèneront des Canaries en Angola ; il séjourne un certain temps dans les parages du cap Blanc de Mauritanie. De plus, quelques dragages, chalutages et prélèvements divers figurent dans la liste des opérations du « Michael Sars » pour 1910. On ne saurait clore cette enumeration, d'ailleurs fort incomplète, sans mentionner l'activité du « Dana » dans la région de Gibraltar, du cap Vert et des Canaries entre 1920 et 1922 ainsi que celle du « Discovery » de 1925 à 1927 dans le même secteur. En Méditerranée occidentale, d'assez nombreuses campagnes se sont succédé depuis les observations hydrologiques faites par DUMONT D'URVILLE à bord de l'« Astrolabe ». Elles se sont réalisées, le plus souvent, à l'occasion de missions de plus grande envergure. Des noms de navires célèbres y sont attachés : « W a s h i n g t o n » (1881), « Vitiaz » (1886 à 1889), « Thor » (1908-1910). On pourrait ajouter ceux, déjà cités, des yachts du prince de Monaco et bien d'autres encore tels l'« Orvet », la « Perche », le « Pourquoi Pas ? », la « Tanche », le « Xauen » et même le « Roland » bien qu'il s'agisse là d'une unité basée en Méditerranée. Assez récemment les investigations biologiques prirent un caractère plus systématique. Qu'il s'agisse de recherche fondamentale ou d'océanographie appliquée à la pêche, elles donnèrent lieu à des observations variées ayant pour objet l'étude du benthos ou des sédiments et celle de la faune nectonique ou planctonique. Elles ont permis d'acquérir des connaissances nouvelles dans le domaine de la bionomie et de la faunistique. En décrivant les secteurs prospectés au cours de nos propres campagnes, l'occasion nous sera donnée de les mentionner et d'en faire une synthèse. Ainsi, l'on peut grouper les travaux réalisés dans le domaine de la faunistique marine depuis plus d'un siècle en deux principales périodes : celle des découvertes et des descriptions qui permirent l'établissement d'un premier inventaire, celle des recherches biologiques ou écologiques. Le passage d'une période à l'autre s'est fait insensiblement. En effet, en étudiant d'une manière plus précise des zones géographiques limitées on s'est aperçu que beaucoup de poissons ou d'invertébrés que l'on croyait appartenir à des formes bien connues constituaient en réalité des espèces ou des sous-espèces nouvelles. Peu à peu la nécessité de dépasser le stade de la pure faunistique pour atteindre celui de la biologie et de l'écologie s'est fait jour. Un bref rappel historique est nécessaire pour faire mieux apparaître ce caractère progressif des connaissances en Méditerranée et dans l'Atlantique ibéro-africain. Dans les ouvrages qu'il publie entre 1840 et 1859 Edwards FORBES reconnaît une affinité certaine entre les espèces marines des côtes européennes et africaines. Ceci l'incite à créer une seule province faunistique qu'il nomme lusitanienne. Il en fixe les limites de la manière suivante : au nord, la Manche à l'est la Syrie au sud, le Soudan à l'ouest, la ligne Açores-Madère-Canaries Très vite les naturalistes ont jugé cette classification trop sommaire. Comme le mentionne PALLARY dès 1907, P. FISHER avait remarqué que l'on trouvait aux Canaries une forte proportion d'espèces équatoriales et proposé de déplacer vers le nord la limite sud de la province lusitanienne et de la fixer aux alentours du cap Garnet sur la côte du Sahara à 25° environ de latitude nord. PALLARY (1907) ajoute que la faune tropicale remonte très haut sur les côtes occidentales d'Afrique. Le nombre caractéristique d'espèces de cette faune est, pense-t-il, assez élevé pour qu'il y ait lieu de modifier les limites de la province lusitanienne qu'il faut ramener encore davantage vers le nord, au moins jusqu'au détroit de Gibraltar. Dans ces conditions la grande province lusitanienne de FORBES fut peu à peu transformée en province atlanto-méditerranéenne. Celle-ci, bien distincte de ses voisines par sa faune, fut pourtant divisée en trois principales régions : lusitanienne de la Manche à Gibraltar, mauritanienne au sud de Gibraltar, méditerranéenne. C'est ainsi qu'à la suite des recherches du « Travailleur », l'opportunité de cette division n'était pas évidente, au moins en ce qui concerne la Méditerranée. A. MILNE-EDWARDS (1882) estime non seulement que cette mer ne doit pas être considérée comme formant une province zoologique distincte mais il va encore plus loin. « A mesure que l'on étudie davantage les animaux qu'elle renferme » écrit-il, « on reconnaît que les espèces que l'on croyait exactement limitées à cette mer intérieure se retrouvent ailleurs ». Pour PALLARY (1907) il n'existe pas de faune méditerranéenne proprement dite, la Méditerranée ayant reçu son peuplement de l'océan. Les faits ont confirmé en grande partie ces opinions. Comme le dit EKMAN (1953) on découvre de plus en plus d'espèces atlantiques en Méditerranée. Cependant, des études morphologiques ou écologiques plus approfondies obligent à admettre que certaines, anciennement introduites dans cette mer intérieure, s'y sont différenciées constituant des sous-espèces ou même des espèces endémiques. Dans ces conditions la reconnaissance d'une région au sein de la province atlanto-méditerranéenne se justifiait. Cette distinction fut d'ailleurs jugée insuffisante puisque SCHMIDT (1912) et TORTONÈSE (1960-1964) créent deux sous-régions méditerranéennes : le bassin occidental et le bassin oriental. Par ailleurs, pour incomplètes qu'elles soient, les informations recueillies au cours des grandes expéditions océanographiques du siècle dernier marquent une étape très importante. Elles ont en effet donné aux zoologistes une nouvelle dimension dans la répartition des espèces : la profondeur. FORBES avait noté dès 1844 qu'en Méditerranée la zone superficielle contient plus d'espèces tropicales et méridionales que la zone allant de 60 à 500 m ; celle-ci renferme davantage de formes de tendance nordique. En 1888 VAILLANT s'étonnait du nombre élevé d'animaux que renferme la faune de profondeur et tentait un premier essai de classification verticale en distinguant trois niveaux : littoral, côtier et abyssal. Ce n'est que beaucoup plus tard, il y a seulement quelques années, qu'une zonation des formes benthiques fut adoptée. Il ne fut possible de la réaliser qu'après être parvenu à une connaissance suffisante de l'écologie et de la biologie des espèces. Les recherches ichthyologiques en Méditerranée occidentale ou dans l'Atlantique sud-ibérique et nord-africain ont trouvé leur place dans cette évolution générale. Néanmoins, les connaissances sur l'écologie des poissons benthiques et nectoniques vivant en profondeur étaient, il y a peu de temps encore, très limitées. Cette lacune provenait en grande partie d'un manque d'information sur la nature et la bionomie des fonds de plus de 200 m. Bien qu'encore très partielles, les observations rassemblées au Maroc avant 1957 et à bord des navires de l'Institut des Pêches à partir de cette date dans ces régions étaient suffisamment nombreuses pour servir de base à un travail de synthèse. Nous avons tenté de le réaliser en l'étayant de données recueillies par ailleurs au cours de l'étude d'un groupe d'espèces et de sous-espèces très caractéristiques du plateau continental et de son talus, les merlus. Après quelques précisions sur les moyens utilisés et les méthodes employées, nous observerons successivement la région atlantique comprise entre le cap Saint-Vincent et l'embouchure du Sénégal, puis la Méditerranée occidentale.
(OCR non controlé)
In 1953, Ekman noted with surprise that the Mediterranean, the cradle of civilization and Aristotle's laboratory, was far from being the most well-known sea in Europe. This comment could also be applied to the Atlantic coasts, from the southern Iberian Peninsula to north-west Africa. A few years later, when the observations given here begin, knowledge of coastal zones had taken great strides. However, this was not the case for the continental slope, and much less so for abyssal plains. Only a few documents report on ocean depths greater than 200 m and the fauna that live there. Many oceanographic research vessels surveyed these regions during the second half of the 19th century, but they only explored them in passing. The main zone of research for these vessels was vaster and further from the coasts of Europe. (unverified OCR)
Maurin Claude (1968). Ecologie ichthyologique des fonds chalutables atlantiques (de la baie ibéro-marocaine à la Mauritanie) et de la Méditerranée occidentale. Revue des Travaux de l'Institut des Pêches Maritimes. 32 (1), https://archimer.ifremer.fr/doc/00000/3196/