INTRODUCTION : Le thon rouge (Thunnus thynnus, Linné, 1758) qui se rencontre dans les eaux tempérées de l'Océan Pacifique, de l'Océan Atlantique et des mers adjacentes (en particulier dans la Méditerranée) est un poisson téléostéen pélagique dont la pêche est l'une des plus anciennes qui ait été organisée à grande échelle. Les dimensions imposantes qu'il peut atteindre (4 mètres de long, plus de 700 kg), l'hydrodynamisme de ses lignes, sa puissance et la qualité de sa chair, l'aspect souvent énigmatique de son comportement, ont depuis toujours suscité un grand intérêt scientifique et économique. Une littérature abondante et variée fait état de plusieurs siècles d'observations et de recherches concernant ce poisson, qui a été plus particulièrement étudié le long des côtes européennes de l'Atlantique et en Méditerranée. Son anatomie, sa morphologie et sa systématique ainsi que de nombreux points importants de son écobiologie sont aujourd'hui bien connus. Tiews (1962) a publié une synthèse bien documentée sur l'ensemble de ces aspects. D'autres restent encore dans l'ombre malgré toutes les tentatives qui ont pu être faites pour les élucider. Comme on le verra dans les chapitres qui vont suivre, après plusieurs siècles d'une relative stabilité, l'exploitation du thon rouge dans les eaux atlanto-méditerranéennes a subi en une vingtaine d'années de profondes modifications. Parallèlement au développement d'une technologie nouvelle, le marché international du thon rouge s'est considérablement élargi et l'on a assisté à une hausse des cours considérable. A l'heure actuelle le prix à la production d'un kilogramme de thon rouge atteint, selon les saisons et l'état du poisson, de 10 à 15 francs en France, 10 à 40 francs en Italie et 30 à 80 francs au Japon. Dans la course au rendement qui s'ensuit, comme dans le cas de bien d'autres ressources halieutiques, la question se pose d'évaluer les potentialités et les limites bioéconomiques des populations exploitées. C'est pourquoi a été créée la "Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l'Atlantique. Les activités de la C.I.C.T.A. (plus souvent désignée par son sigle anglo-saxon: I.C.C.A.T.), qui groupe dix-neuf nays, visent essentiellement l'évaluation et l'aménagement d'une gestion rationnelle des populations de thonidés de l'Atlantique et des mers adjacentes. Les inquiétudes causées par la chute des rendements de certaines pêcheries (situées notamment dans l'Atlantique Ouest) avaient amené en 1974 la Commission scientifique de l'I.C.C.A.T., en l'absence de données sur l'état des stocks, à proposer au niveau international de prudentes mesures préliminaires de protection du thon rouge. Ces mesures préconisent: 1- l'interdiction de capturer ou de débarquer les très jeunes thons rouges d'un poids unitaire inférieur à 6,4 kg (avec, toutefois, une tolérance pour prises accidentelles ne devant pas excéder 15 %des captures). 2- la limitation de la mortalité par pêche du thon rouge au niveau atteint au moment de la recommandation (c'est-à-dire en 1974). Seule la première de ces mesures a été entérinée en France le 5 août 1975 par l'arrêté n° 2536 P.4 du Secrétaire d'État aux Transports. En outre, afin de disposer d'éléments d'appréciation plus précis, les pays membres de l' I C C A T ont focalisé ces dernières années une partie de leurs actions de recherche scientifique sur le problème de l'évaluation et de la gestion des stocks de thon rouge. Ce document constitue la synthèse des recherches dont j'ai été chargé dans cette optique depuis 1976 par l'Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes. Ces travaux ont eu pour objectif la recherche des paramètres dynamiques pouvant permettre de juger de l'importance et du niveau d'exploitation des populations exploitées de thon rouge. Seuls seront donc abordés en détail, dans une première partie, les points de biologie générale (reproduction, migrations, croissance) constituant le préliminaire indispensable pour établir les hypothèses de base des évaluations faisant l'objet du présent travail.