Cette étude avait pour objectif principal de déterminer les facteurs explicatifs de la dynamique spatio-temporelle des surmortalités d’huîtres creuses dans la lagune de Thau. Les facteurs étudiés étaient : la pathologie (détection d’ADN appartenant à l’Ostreid herpesvirus 1 OsHV-1 et au groupe bactérien Vibrio splendidus), l’état énergétique des huîtres (triglycérides, sucres totaux et acides gras comme marqueurs trophiques), les pratiques d’élevage et l’hydrodynamique. Afin de répondre à ces objectifs, nous avons suivi la mortalité d’un lot d’huîtres sentinelles, âgé de moins d’un an, maintenu indemne de mortalité, dans lequel on ne détectait pas d’ADN appartenant à OsHV-1. Le lot a été déployé mi-mars 2011 sur 106 stations dans la lagune de Thau, où les pratiques culturales ont été qualifiées. Des échantillons d’huîtres ont été régulièrement prélevés pour les analyses en pathologie et les réserves énergétiques. La surmortalité des huîtres a touché l’ensemble de la lagune de Thau, excepté deux sites éloignés des zones d’élevage. La mortalité cumulée finale a atteint plus de 80% des huîtres sentinelles sur la quasi-totalité des points de suivi, de sorte que ce paramètre est un descripteur peu pertinent car relativement invariable. Nous avons donc choisi d’analyser les fonctions de survie et le temps moyen de survie des huîtres sentinelles, deux paramètres qui tiennent compte de la cinétique de mortalité et pas uniquement de la mortalité cumulée finale. Le temps moyen de survie des huîtres sentinelles, qui a été calculé en jours écoulés depuis le 6 avril 2011, date à laquelle la température de l’eau a atteint 16°C, variait entre 8 jours et plus de 45 jours, en fonction de la localisation dans la lagune : il était de seulement 15.0 jours dans les zones d’élevage contre 27.8 jours hors des zones d’élevage. Par conséquent, le temps moyen de survie des huîtres était moindre lorsqu’elles étaient placées dans les zones d’élevage, suggérant que les animaux placés dans les zones d’élevage étaient à l’origine de l’épizootie qui a sévi dans la lagune de Thau en 2011. Tous les évènements de mortalité constatés in situ coïncidaient avec la détection d’ADN viral de OsHV-1 en quantité importante dans les huîtres sentinelles. Ce résultat est donc en accord avec les résultats épidémiologiques de terrain et les expériences d’infection expérimentale et de cohabitation en laboratoire, de sorte qu’il est possible de dire que OsHV-1 est une cause prédominante de mortalité des huîtres. Toutefois, le temps moyen de survie était modulé par la quantité de triglycérides (TAG) dans les huîtres avant les mortalités et les quantités d’ADN appartenant à V. splendidus détectées dans les huîtres en période de mortalité. Par conséquent, bien que OsHV-1 soit une cause prédominante de mortalité des huîtres, la teneur en réserves énergétiques et la détection de V. splendidus dans les huîtres sont des paramètres explicatifs importants de la dynamique spatio-temporelle des mortalités. Du point de vue des pratiques culturales, le temps moyen de survie des huîtres sentinelles variait en fonction des types d’élevage sur les concessions. Notamment, le temps moyen de survie des huîtres sentinelles maintenues dans des concessions dédiées à l’élevage de moules était de 1.9 jours supérieur à celui des huîtres sentinelles placées dans des tables vides. Bien que la présence de moule n’ait pas empêché les mortalités de se produire, il est possible qu’elle ait ralenti le phénomène. A l’inverse, le temps moyen de survie des huîtres sentinelles maintenues dans des concessions dédiées au prégrossissement de naissain était de 2.4 jours inférieur à celui des huîtres sentinelles placées dans des tables vides: il semble que la présence de naissains sensibles aux agents infectieux en quantité importante ait accéléré le phénomène de mortalité. Enfin, le temps moyen de survie des huîtres sentinelles maintenues dans des concessions dédiées au grossissement d’huîtres était similaire à celui des huîtres sentinelles placées dans des concessions vides. Par conséquent, la présence d’huître en grossissement ne semble pas avoir d’effet sur la dynamique des mortalités. Alors que le type d’élevage avait un effet clair sur la cinétique de mortalité des huîtres, les autres facteurs testés, tels que les structures d’élevage, les densités d’élevage et l’origine des huîtres (sauvage vs. triploïde, 3n) n’avaient pas d’effet sur les paramètres de survie des huîtres sentinelles. Enfin, les simulations de transport de particules à l’aide du modèle hydrodynamique MARS-3D ont montré que la localisation du point d’émission de la maladie influençait fortement le potentiel de dispersion de l’agent infectieux dans la lagune, reflétant le niveau de connectivité hydrodynamique des concessions. Toutefois, l’effet de la localisation du point d’émission de la maladie sur la dispersion de OsHV-1 variait en fonction des années de suivi, reflétant les différences de régime hydrodynamique. Par conséquent les caractéristiques d’une concession en terme de connectivité hydrodynamique varient entre les années, de sorte qu’il n’est pas possible de mettre en évidence des points « isolés » et des points « connectés » dans la lagune de façon stable. Le temps nécessaire pour observer 90% de diminution des quantités d’ADN virale (T90) était le facteur le plus sensible sur le potentiel de dispersion de OsHV-1 dans l’environnement. Nos données suggèrent que la valeur de T90 pour OsHV-1 était vraisemblablement supérieure ou égale à 5 jours.